Fülszöveg
A qui tente d'établir un atlas et une chronolo^e des meurtres politiques, trois évidences s'imposent. Nulle société n'a été continument a l'abri du meurtre politique sous ses aspects divers. Mais il est des temps historiques ovi le meurtre connaît une fortune remarquable: le xvi' siecle européen, par exemple; ou encore le XX', ou, sous la forme de la terreur de masse et des mouvements terroristes, il gagne plus ou moins tous les continents. Il est aussi des moments ou le meurtre politique régresse et apparaît plutôt comme un moyen exceptionnel de résoudre des conflits de pouvoir. Pourtant, a cette conception qui met a un moment ou a un autre toutes les cités sur le meme plan et qui fait du meurtre politique la clé des épisodes tragiques de leur histoire, un pays — peut-etre pas le seul, mais son exemple est le plus éclatant, s'agis-sant d'un grand pays d'Europe — fait exceptioin : la Russie.
L'histoire de ce pays dans lequel Tocqueville, lorsqu'il scrute l'avenir, discerne qu'il...
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A qui tente d'établir un atlas et une chronolo^e des meurtres politiques, trois évidences s'imposent. Nulle société n'a été continument a l'abri du meurtre politique sous ses aspects divers. Mais il est des temps historiques ovi le meurtre connaît une fortune remarquable: le xvi' siecle européen, par exemple; ou encore le XX', ou, sous la forme de la terreur de masse et des mouvements terroristes, il gagne plus ou moins tous les continents. Il est aussi des moments ou le meurtre politique régresse et apparaît plutôt comme un moyen exceptionnel de résoudre des conflits de pouvoir. Pourtant, a cette conception qui met a un moment ou a un autre toutes les cités sur le meme plan et qui fait du meurtre politique la clé des épisodes tragiques de leur histoire, un pays — peut-etre pas le seul, mais son exemple est le plus éclatant, s'agis-sant d'un grand pays d'Europe — fait exceptioin : la Russie.
L'histoire de ce pays dans lequel Tocqueville, lorsqu'il scrute l'avenir, discerne qu'il est appelé « par un dessein secret de la Providence a tenir un jour dans ses mains la moitié du monde » a égalité avec les seuls États-Unis, dont il dit que le monde « découvrira tout a la fois la naissance et la grandeur», est avant tout une histoire continue du meurtre politique. Du moment ou se fonde la Russie, au IX' siecle, et ou commence sa christianisation, jusqu'a l'apogée prévue par Tocqueville, il n'est guere de génération qui n'y ait assisté, pétrifiée, a l'étemelle liaison entre meurtre et politique. Les temps de répit, dans ce pays, ce sont les guerres et les invasions qui les ont apportés, autres formes de violence et de mort, mais dont l'avantage est qu'agissant de l'extérieur, elles unissent pour un temps pouvoir et société contre l'ennemi porteur de mort.
Cette longue tradition meurtriere a sans nul doute façonné ime conscience collective ou l'attente d'un univers politique pacifié tient peu de place, tandis que la violence ou sa crainte y sont profondément ancrées. De ce malheur si profondément ressenti a tous les âges, que les esprits superficiels nomment l'âme russe, l'on peut se demander ou est la cause, ou est l'effet. Est-ce le meurtre politique trop longtemps utilisé qui a produit une conscience sociale malheureuse et soumise, et, par la, incapable d'imposer, commé ailleurs, un autre cours au politique? Ou bien est-ce cette conscience malheureuse, épouvantée, qui appelle sur elle, sinon la colere des dieux, du moins le déchaînement des meurtriers.
Hélene Carrere d'Encausse
Vissza